jeudi 9 septembre 2010

Au Théâtre du Trident dès le 21 septembre, Dom Juan, le séducteur par exemple, l’incorrigible blasphémateur, l’amant effronté, le mari trousseur de jupons... Pour l'interprète que je suis, il s'agit d'un défi de taille, il va sans dire. Comment s’y prendre ?

Avant le début des répétitions, travaillant de mon côté, j’ai d’abord abordé tout naturellement le personnage de Dom Juan en me concentrant sur la langue de Molière dans laquelle se dévoile assez rapidement une façon de penser, de dire et de bouger le texte. Toutefois, cette technique, qui s’impose à prime abord, peut avoir comme résultat de distancier le personnage de l’acteur qui l’interprète ; quelques répliques s’échelonnant en de longues phrases, d’autres dites en apartés et certaines tournures de style d’un autre temps contribuent à cela. Heureusement, dès les premières répétitions, le metteur en scène Jean-Sébastien Ouellette a aiguillonné mon travail sur une approche beaucoup plus contemporaine et intuitive du personnage. Cela ne s’est pas fait sans difficultés et a nécessité de constants efforts afin de maintenir mon personnage dans ses zones d’ombres, aux frontières de l’anti-jeu, comme si je devais constamment laisser traîner un poids à la dérive. Le Dom Juan que nous vous proposons s’avère donc moins exubérant mais autrement plus sournois et, je l’espère, habité d’une densité qui vous interpellera. Vicieux et cruel, c’est ainsi que nous l’avons souhaité. En s’en prenant à l’intouchable, niant jusqu’à l’existence du Ciel, ce monstre d’orgueil sombrera en toute connaissance de cause vers son inexorable destin pour finalement accéder à l’immortalité du héros.

Quant à l’ensemble de l’équipe et au travail que nous accomplissons je ne peux que témoigner de l’impressionnante maîtrise qui ressort de l’implication de chacun des participants et participantes au projet. Une fois de plus l’équipe du Théâtre du Trident a réunit autour d’une oeuvre phare une jeune équipe bourrée de talent entourée de praticiens expérimentés. C’est un grand honneur pour moi que d’y contribuer à ma façon.

Bonne rentrée théâtrale à tous !

mercredi 2 juin 2010

Que peut la littérature ?

Toute oeuvre littéraire digne de ce nom peut être considérée par l’acteur comme une bible, chacune des pages recelant de multiples pistes et indices qui sauront se révéler utiles voire essentielles pour jouer.

On s’en doute, pour atteindre l’excellence dans le métier d’acteur, il faut être en mesure d’offrir des portraits humains cohérents à nos contemporains. Pour se faire, le praticien doit d’abord être en mesure de décoder les grandes trames qui façonnent cet animal étrange. Les premiers outils demeurent l’observation et l’imitation, mais ils suffisent rarement à eux seul. Pour accéder à l’inconscience et à l’immatériel, pour parvenir à dépasser le seul stade de la copie, l’acteur doit être en mesure de sonder les tréfonds de la conscience, savoir lire l’invisible pour, ultimement, être en mesure de le représenter sur scène. Pour se faire, une propre introspection, même solide, ne suffit pas. Il lui faudra plonger dans le fil d’autres pensées et la meilleure façon d’y parvenir demeure, selon moi, la lecture.

La lecture d’un livre, de par l’intimité inhérente à l’activité, permettra à l’acteur de s’imprégner de la pensée de son auteur et, s’il s’avère bien écrit, de saisir certains des réflexes qui conditionnent la psyché humaine. Cet exercice pourra culminer en une symbiose, une communion entre l’auteur et le lecteur. Celui-ci ressentira d’une certaine façon ce que l’auteur à vécu émotionnellement lors de l’écriture. S’il est en de bonnes dispositions, il accédera à des niveaux de conscience que l’auteur lui-même ne soupçonnait pas avoir atteint. L’acteur/lecteur devra s’en servir par la suite pour son jeu.

L’exemple le plus stimulant et le plus pertinent qui me vient en tête est survenu à la lecture de "Mon année dans la baie de Personne" de l’auteur autrichien Peter Handke paru en 1994. J’étais alors en formation au Conservatoire d’Art Dramatique de Québec et, pris dans le tourbillon de l’apprentissage du métier d’acteur, je ne soupçonnais pas que la lecture de ce livre me fournirait la clé de bien des chemins que je serais éventuellement amené à emprunter. L’histoire est toute simple : un écrivain, alter-ego de l’auteur, s’installe à sa fenêtre donnant sur une place tranquille d’une banlieue parisienne puis se prend à imaginer ce que vivent, en l’instant, chacune de ses connaissances éparpillées de par le monde. On s’imprègne de l’intimité de cet homme qui, s’arrêtant pour contempler le monde visible, accède à l’universel et replonge la seconde suivante en des lieux fantasmés sur les traces de ceux qu’il aime. Brillant.

vendredi 19 mars 2010

Nostalgie

Dans deux jours, se terminera notre série de spectacles au Théâtre de Quat'Sous, rue des Pins à Montréal. J'y étais de la distribution de On achève bien les chevaux, une adaptation d'un roman de Horace McCoy fait par M.-J. Bastien qui a également signé la mise en scène. Dans la salle intimiste du Quat'Sous, le spectacle n'aura peut-être pas connu autant de succès que nous l'aurions espéré étant donné l'accueil enthousiaste que nous avions reçu à Québec à sa création. Est-ce dû au manque de dégagement propre à cette salle qui a fait en sorte que notre proposition et notre niveau de jeu, franc et généreux, ont pu brusquer une partie du public se sentant bombarbé par nos bons sentiments ? C'est bien probable si l'on songe au cynisme propre à notre époque où, règle générale, on est plutôt rébarbatif à tout ce qui s'approche du mélodrame. Dommage.

Enfin, me concernant, l'expérience fut très agréable quand même. J'étais très heureux de retrouver ces murs dans lesquels je m'étais déjà commis il y a 12 ans de cela, soit au tout début de ma carrière. Pierre Bernard, alors directeur artistique du Quat'Sous, m'avait téléphoné quelques mois après ma sortie du Conservatoire d'Art Dramatique de Québec pour me proposer un rôle dans le Trainspotting qu'il avait offert à Wajdi Mouawad à la mise en scène. Je me souviens que ce coup de fil m'avait confirmé que j'étais bel et bien lancé et que le métier allait probablement me sourire désormais. Le succès de l'entreprise fut telle qu'elle hante encore les murs de ce théâtre même après l'incendie dévastateur qui a ravagé l'endroit il y a quelques années. Pour moi, en tout cas, ce retour aux sources est très bénéfique et me rappelle de biens bons souvenirs...

Je retrouverai bientôt mon ami Wajdi, car nous allons reprendre l'aventure de Les Trois Soeurs de Anton Tchékhov qu'il avait initialement mis en scène au Théâtre du Trident en 2002. Nous transporterons notre lecture de cette oeuvre magistrale à Moscou même en juillet prochain. L'aventure s'annonce passionnante et me permettra une fois de plus de renouer avec de formidables souvenirs...

Deviendrais-je nostalgique ma foi ?

dimanche 14 mars 2010

De passage, le voyageur voit rouge.

LE VOYAGEUR, ironisant à peine : Il est de ces villes où je m'étonne de voir que les murs des bâtiments tiennent encore, des Sodome et Gomorrhe des temps moderne. Par exemple ici, je constate qu'une bonne vieille Révolution Culturelle à la chinoise s'imposerait tout à fait : on devrait contraindre les hordes de jeunes citoyens et de jeunes citoyennes à demi-dévêtus qui se déversent dans les rues le soir venu, dépensant des deniers provenant on ne sait trop d'où, à participer à la corvée collective et, aux sons de chants patriotiques, employer leur insatiable énergie à nettoyer avenues et squares plutôt que de les laisser hurler leurs insanités dans la nuit. L'avalanche de détritus qui jalonne les rues est sans doute le résultat des faméliques fontes hivernales. Toujours est-il que des bouges sordides de Macao aux marchés clandestins de Yaoundé, il n'existe au monde de trottoirs aussi malpropres et abandonnés aux chiens - si bien élevés soient-ils - et de parcs aussi sordides parsemés d'arbres malheureux, qu'ici. "Ce n'est qu'un court moment de fête et de réjouissance pour exorciser les frustrations d'un trop court hiver ; on fera le ménage tout à l'heure." D'accord, mais vous conviendrez avec moi que de nos jours le Bairro Alto de Lisbonne ou le Red Light de Hambourg ressemblent à s'y méprendre à des églises monastiques devant ce Plateau Mont-Royal. Ah ! une bonne pluie salvatrice ce matin. Ça va nettoyer tout ça un peu en attendant la colère divine ou la venue d'un mignon petit Mao bien de chez-nous...

lundi 1 mars 2010

Qualités et privilèges de l’acteur de théâtre

Comme notre métier à Québec nous amène à se consacrer presqu’exclusivement à la scène, mes réflexions quant à la pratique théâtrale se sont nécéssairement peaufinées au fil des années. Les questions demeurent nombreuses, mais les réponses s’imposent parfois d’elles-mêmes. Ainsi, je me suis questionné il y a peu sur les qualités dont doit faire preuve un acteur de théâtre pour persevérer et voilà, en peu de mots, ce que j’en ai déduit.

Les principales qualités d’un comédien de théâtre doivent être, selon moi, l’abnégation et le courage. Abnégation, car il doit être en mesure d’oublier ce qu’il est - ou ce qu’il croît être – pour personnifier quelqu’un d’autre, soir après soir. Cet exercice de transsubstantiation - se vider de soi pour laisser place au personnage - ne peut se faire sans une bonne dose d’humilité quelque soient les qualités du personnage. Le personnage que devra endosser l’acteur sera parfois désagréable, son âme sera salie, ses propos seront noirs. L’acteur devra néanmoins lui faire une place en son propre corps. Le corps de l’acteur devient alors un réceptacle de l’âme du personnage qui – sans lui – n’existerais pas. L’âme du personnage n’aura de poids que lorsqu’elle se nichera au sein de l’acteur. Et cela doit se faire avec le consentement, l’abandon, de ce dernier. Parfois, le personnage est trop volumineux, l’enveloppe trop étroite. Parfois c’est l’inverse qui se produit : le corps de l’acteur ou ce qu’il croît être son corps, est trop vaste pour contenir l’âme du personnage. S’ensuit une distorsion : l’acteur trop imbu de lui-même ne rendra pas la juste parole de son personnage et celui qui se sous-estime n’aura pas assez de place à offrir à celui-ci. Il y a un juste milieu à trouver.

Quant au courage, il s’impose lorsque l’acteur a l’impression de monter sur scène comme on monte au front, quand l’acteur s’apprête à livrer un combat qu’il sait pouvoir gagner. À notre époque où le moindre effort est méritoire celui qui consiste à abandonner âme et corps pour une cause qui n’est pas proprement la sienne est, selon moi, sublime. L’acteur de théâtre, par son sacrifice, peut mener un constant combat de libération.Sans prétendre changer le monde, l’acteur de théâtre est tributaire d’une vision franche de l’humanité, porteur, la plupart du temps, du flambeau d’une parole forte et c’est un privilège qu’il se doit d’honorer de toutes ses qualités.

vendredi 29 janvier 2010

Nous nous dirigeons lentement mais sûrement vers la conclusion d'une seconde semaine de représentations de la pièce Henri IV de Luigi Pirandello programmée au Théâtre du Trident jusqu'au 13 février. J'y interprète le rôle titre dans une mise en scène de Marie Gignac. J'en suis à ma troisième collaboration (Cyrano de Bergerac et Les Mains sales) avec cette extraordinaire metteur en scène, exigeante, mais ô combien reconnaissante lorsque le travail est bien fait. Au fil de nos collaborations, nous sommes parvenus, elle et moi, à élaborer une méthode de travail très efficace qui se sert de nos spontanéités respectives et qui se fonde sur une confiance mutuelle inébranlable. Ici encore, chacun de nos échanges s'est trouvé inspiré par la générosité de l'autre et je crois que cette relation privilégiée nous a permis une fois de plus d'offrir aux spectateurs un spectacle entier et sans compromis. Les échos sont d'ailleurs très positifs.

J'y interprète le rôle d'un homme d'âge mûr qui reçoit la visite en son antre de sa flamme de jeunesse, de son amant et d'un psychiatre venu l'ausculter. Cet homme a ceci de particulier qu'on le croît atteint de folie pour la bonne raison qu'il se terre en cet endroit depuis vingt ans - sous les traits d'un empereur germanique du onzième siècle - afin d'échapper à la cruauté d'un monde qui le dépasse et qui l'accable. N'ayant pour seules défenses qu'un costume d'empereur, qu'un trône et que quelques figurants se prêtant plus ou moins au jeu, Henri IV est une belle illustration de la vulnérabilité d'un homme qui a jadis baissé sa garde et qui ne s'en ai jamais relevé. Au fil de la pièce, il comprend que se défendre est inutile et, comme l'oisillon qui voit surgir le prédateur dans son nid, il perçoit douloureusement que son leurre ne lui servira plus et que sa folie comme rempart ne lui sera plus d'aucune utilité. J'adore ce rôle.

mardi 12 janvier 2010

Réflexions sur ma pratique

Je ne suis pas un acteur qui met nécessairement de l’avant l’aspect physique du jeu et ma démarche en ce sens est plutôt intuitive. Aussitôt que je suis dans de bonnes dispositions physiques pour jouer, je laisse mon corps s’exprimer. Mes mouvements servent alors à ponctuer l’état d’esprit dans lequel se trouve le personnage que j’ai à défendre. Ils s’intègrent sans heurt au texte que j’ai à dire, mais je compte toujours sur le metteur en scène pour me dire à partir de quel moment mes gestes et mes mouvements sont susceptibles de brouiller le propos. Ce que je constate, c’est que le corps de l’acteur n’est ni plus ni moins qu’une boule d’énergie fabuleuse qu’il s’agit de maîtriser adroitement. Lorsque vient le temps de monter en scène, les décharges d’adrénaline sont parfois telles qu’elles doivent impérativement être domptées pour ne pas nuire à la lisibilité.

Autrement l’essence de la pratique théâtrale, telle que je la conçois, est à chercher dans la conjugaison de deux types d’émotions. Il y a d’abord celle née de l’élan physique intuitif décrit ci-dessus. Cette émotion du corps et du mouvement doit nécessairement entrer en contact avec l’émotion plus cérébrale qui naît à la lecture, à l’appropriation et à l’interprétation du texte. Cela amène à une concordance qu’il n’est pas toujours facile de provoquer notamment lorsque le texte et les exigences physiques de la mise en scène ne convergent pas naturellement, par exemple lorsque l’émotion n’est pas décelable initialement dans le texte ou lorsque la mise en place s’impose trop lourdement.

Je vous cite ici deux exemples où j’ai pu observé de l’intérieur une conjugaison parfaite de ces émotions. Dans Cyrano de Bergerac, mis en scène par M. Gignac, je frémissais toujours à l’énoncé du vers suivant lancé par Cyrano à Roxane quelques instants avant qu’il ne meure : « non, non , cher amour, je ne vous aimais pas! » ? Depuis deux heures trente déjà je luttais à coups d’épées et de joutes verbales effrénées pour taire cet amour. La fatigue du personnage était aussi la mienne et le fait de lâcher enfin le morceau représentait en soit une libération tout aussi grande pour le personnage que pour l’interprète.

Autre exemple de ce type de conjugaison heureuse qui n’est pas venue initialement du texte celle-là : dans L’Asile de la Pureté, Donatien Marcassilar jeûne depuis plusieurs jours déjà lorsqu’il entreprend de prouver à l’un de ses amis jusqu’où doit aller sa liberté d’expression ; il entame alors un poème en exploréen – langue inventée par C. Gauvreau faîte de mots véritables entrecoupée de syllabes indépendantes. Pour fuser correctement, cet extrait fût donné dans un état physique de précarité: M. Faucher, le metteur en scène, m’avait placé les deux pieds dans une assiette vide, raide comme un piquet ne laissant que mes bras s’agiter en tous sens. L’intensité de cet état physique contraignant combiné à la résonance des syllabes exploréenne ajouté à la douce fatigue d’un acteur en scène depuis plus d’une heure trente ont certes contribué à faire de ce moment-là aussi l’un des plus prenant de ma carrière.

Mon aspiration première comme interprète est d’offrir un portrait signifiant de notre humanité en rendant le plus justement du monde ses incroyables aptitudes et qualités mais aussi ses plus horrible défauts. Comme l’histoire du théâtre s’échelonne sur 2500 ans, l’acteur et le spectateur ont l’occasion d’accéder, ici, à un répertoire inépuisable de représentations de l’humain allant des premiers balbutiement de la littérature qui cherchaient à définir les contours de celui-ci aux textes québécois contemporains qui contribuent à définir notre identité. Moi, je trouve dans cette multitude d’histoires d’amour, de traîtrises, d’honneur, de violence qui pullulent dans le répertoire dramatique et qui jalonnent l’histoire de l’humanité, un terreau inépuisable à la fois de cette grandiloquence et de cette misère qui font l’Homme. Tout, dans ma pratique, tend à offrir à mes contemporains une juste lecture de ce tableau, aussi vaste soit-il.