mercredi 18 février 2009

J'ose m'adonner ici à un exercice d'anticipation périlleux. Un exercice qui donnera invariablement dans le pessimisme étant donné l'état des lieux. Ceux qui souffrent d'une trop grande immersion dans le défaitisme ambiant feront mieux d'interrompre ici leur lecture pour les autres voici ce que cela donne.

Téléportons-nous en 2100, d'ici trois ou quatre générations. La population du Québec est maintenant de près de 10 millions d'habitants et la ville de Québec est toujours la capitale de cette province d'Amérique. Montréal n'est plus à proprement parler une ville québécoise maintenant qu’elle porte le statut de "mégapole indépendante" au même titre que Mexico et Vancouver. On n'y parle plus que l'anglais.

Québec, elle, frôle le million d'habitants ; la ville est enfin devenue terre d'asile pour des milliers d'immigrants qui n'y craignent plus le froid. L'économie tourne rondement, la ville est encore belle, les touristes s'y bousculent toujours été comme hiver. On y résiste encore à l'anglicisation échevelée venant du sud. Elle est devenue d’ailleurs une sorte de curiosité dans le paysage géopolitique planétaire, comme Kaliningrad ou Bilbao. Et les Français de France sont les premiers à s'étonner de cette vaillante pérénité.

Depuis trente ans déjà on ne parle plus de pays à faire ici, et la langue française n'y serait plus en danger depuis que le Programme de Sauvetage des Langues en Péril de l'UNESCO s'est emparé du dossier. Des représentants d'Asie Centrale et de Laponie notamment ont été mandatés pour veiller à la protection de notre dialecte coloré. Cela nous étonne et nous ne savons trop comment les considérer ; comme des invités de marque ou comme des oiseaux de malheur?

D'autant que désormais l'État n'investit plus vraiment d'argent dans la culture. On supporte plutôt les différents conglomérats qui orientent judicieusement, via des réseaux informatiques précisément consacrés à cela, l’éventail des possibilités de divertissement. Chaque citoyen y trouve son compte et les vieilles salles de spectacles du siècle dernier sont maintenant utilisées par des entreprises qui y organisent des stages de motivation pour leurs employés. Il arrive encore que, par temps très chaud, des groupes de 10 ou 15 personnes se forme spontanément et on déambule masqué dans les rues en cognant rageusement sur des couvercles de métal, scandant des slogans de liberté. Cela indispose la population, mais on appelle ces manifestations de la dissidence et on dit que malheureusement cela est inévitable.

Dans ce coin de planète, j’ai des arrières-arrières-arrières petits enfants qui feuillettent de vieilles découpures de journeaux trouvées dans un grenier. On y parle d’un de leur lointain aïeul qui se produisait de temps à autre sur les planches de cette belle ville. Cet homme faisait du théâtre – comme les grecs de l’Antiquité - et semblait animé d’une indécrotable motivation pour cela. Cela ne manque pas de les faire sourire et, se bousculant à l’appel de la sirène, ils s’étonnent ensemble que cela ait pu exister.