vendredi 29 janvier 2010

Nous nous dirigeons lentement mais sûrement vers la conclusion d'une seconde semaine de représentations de la pièce Henri IV de Luigi Pirandello programmée au Théâtre du Trident jusqu'au 13 février. J'y interprète le rôle titre dans une mise en scène de Marie Gignac. J'en suis à ma troisième collaboration (Cyrano de Bergerac et Les Mains sales) avec cette extraordinaire metteur en scène, exigeante, mais ô combien reconnaissante lorsque le travail est bien fait. Au fil de nos collaborations, nous sommes parvenus, elle et moi, à élaborer une méthode de travail très efficace qui se sert de nos spontanéités respectives et qui se fonde sur une confiance mutuelle inébranlable. Ici encore, chacun de nos échanges s'est trouvé inspiré par la générosité de l'autre et je crois que cette relation privilégiée nous a permis une fois de plus d'offrir aux spectateurs un spectacle entier et sans compromis. Les échos sont d'ailleurs très positifs.

J'y interprète le rôle d'un homme d'âge mûr qui reçoit la visite en son antre de sa flamme de jeunesse, de son amant et d'un psychiatre venu l'ausculter. Cet homme a ceci de particulier qu'on le croît atteint de folie pour la bonne raison qu'il se terre en cet endroit depuis vingt ans - sous les traits d'un empereur germanique du onzième siècle - afin d'échapper à la cruauté d'un monde qui le dépasse et qui l'accable. N'ayant pour seules défenses qu'un costume d'empereur, qu'un trône et que quelques figurants se prêtant plus ou moins au jeu, Henri IV est une belle illustration de la vulnérabilité d'un homme qui a jadis baissé sa garde et qui ne s'en ai jamais relevé. Au fil de la pièce, il comprend que se défendre est inutile et, comme l'oisillon qui voit surgir le prédateur dans son nid, il perçoit douloureusement que son leurre ne lui servira plus et que sa folie comme rempart ne lui sera plus d'aucune utilité. J'adore ce rôle.

mardi 12 janvier 2010

Réflexions sur ma pratique

Je ne suis pas un acteur qui met nécessairement de l’avant l’aspect physique du jeu et ma démarche en ce sens est plutôt intuitive. Aussitôt que je suis dans de bonnes dispositions physiques pour jouer, je laisse mon corps s’exprimer. Mes mouvements servent alors à ponctuer l’état d’esprit dans lequel se trouve le personnage que j’ai à défendre. Ils s’intègrent sans heurt au texte que j’ai à dire, mais je compte toujours sur le metteur en scène pour me dire à partir de quel moment mes gestes et mes mouvements sont susceptibles de brouiller le propos. Ce que je constate, c’est que le corps de l’acteur n’est ni plus ni moins qu’une boule d’énergie fabuleuse qu’il s’agit de maîtriser adroitement. Lorsque vient le temps de monter en scène, les décharges d’adrénaline sont parfois telles qu’elles doivent impérativement être domptées pour ne pas nuire à la lisibilité.

Autrement l’essence de la pratique théâtrale, telle que je la conçois, est à chercher dans la conjugaison de deux types d’émotions. Il y a d’abord celle née de l’élan physique intuitif décrit ci-dessus. Cette émotion du corps et du mouvement doit nécessairement entrer en contact avec l’émotion plus cérébrale qui naît à la lecture, à l’appropriation et à l’interprétation du texte. Cela amène à une concordance qu’il n’est pas toujours facile de provoquer notamment lorsque le texte et les exigences physiques de la mise en scène ne convergent pas naturellement, par exemple lorsque l’émotion n’est pas décelable initialement dans le texte ou lorsque la mise en place s’impose trop lourdement.

Je vous cite ici deux exemples où j’ai pu observé de l’intérieur une conjugaison parfaite de ces émotions. Dans Cyrano de Bergerac, mis en scène par M. Gignac, je frémissais toujours à l’énoncé du vers suivant lancé par Cyrano à Roxane quelques instants avant qu’il ne meure : « non, non , cher amour, je ne vous aimais pas! » ? Depuis deux heures trente déjà je luttais à coups d’épées et de joutes verbales effrénées pour taire cet amour. La fatigue du personnage était aussi la mienne et le fait de lâcher enfin le morceau représentait en soit une libération tout aussi grande pour le personnage que pour l’interprète.

Autre exemple de ce type de conjugaison heureuse qui n’est pas venue initialement du texte celle-là : dans L’Asile de la Pureté, Donatien Marcassilar jeûne depuis plusieurs jours déjà lorsqu’il entreprend de prouver à l’un de ses amis jusqu’où doit aller sa liberté d’expression ; il entame alors un poème en exploréen – langue inventée par C. Gauvreau faîte de mots véritables entrecoupée de syllabes indépendantes. Pour fuser correctement, cet extrait fût donné dans un état physique de précarité: M. Faucher, le metteur en scène, m’avait placé les deux pieds dans une assiette vide, raide comme un piquet ne laissant que mes bras s’agiter en tous sens. L’intensité de cet état physique contraignant combiné à la résonance des syllabes exploréenne ajouté à la douce fatigue d’un acteur en scène depuis plus d’une heure trente ont certes contribué à faire de ce moment-là aussi l’un des plus prenant de ma carrière.

Mon aspiration première comme interprète est d’offrir un portrait signifiant de notre humanité en rendant le plus justement du monde ses incroyables aptitudes et qualités mais aussi ses plus horrible défauts. Comme l’histoire du théâtre s’échelonne sur 2500 ans, l’acteur et le spectateur ont l’occasion d’accéder, ici, à un répertoire inépuisable de représentations de l’humain allant des premiers balbutiement de la littérature qui cherchaient à définir les contours de celui-ci aux textes québécois contemporains qui contribuent à définir notre identité. Moi, je trouve dans cette multitude d’histoires d’amour, de traîtrises, d’honneur, de violence qui pullulent dans le répertoire dramatique et qui jalonnent l’histoire de l’humanité, un terreau inépuisable à la fois de cette grandiloquence et de cette misère qui font l’Homme. Tout, dans ma pratique, tend à offrir à mes contemporains une juste lecture de ce tableau, aussi vaste soit-il.